Politique Etrangère Française : Le point de vue de Paul Giacobbi (Député PRG)

Publié le par Vincent GAREL

Diplomatie Moribonde (Le Monde du 11/09/2007)

par Paul Giacobbi, Député PRG de Haute Corse, membre de la commission des affaires étrangères.

A l’inverse des discours lénifiants qui se répètent rituellement de président à président et de ministre à ministre sur le rôle, phare bien sûr, de la France dans le monde, notre diplomatie cache de plus en plus mal son état cadavérique, entre arrogance et médiocrité, feux d’artifice et misère, inefficacité et autosatisfaction.

La conférence des ambassadeurs du 27 août est révélatrice de cette situation intenable qui crée, malgré quelques timides autocritiques et brèves lueurs de lucidité, un malaise évident chez nos diplomates. Le président de la République a pourtant proposé des réorientations claires et salutaires de notre politique étrangère et européenne. Il a même surmonté, à propos de la Turquie, ses propres engagements, ce qui est à la fois courageux et réaliste.

Mais son discours reste imprégné de l’idée que notre diplomatie a vocation à éclairer le monde de nos lumières et à étonner l’univers par nos performances. Qui dans le monde peut entendre sans rire que “la France a encore beaucoup à apporter au monde parce qu’elle a l’un des peuples les plus dynamiques et les mieux formés, l’une des économies les plus performantes, une diplomatie et des forces armées parmi les meilleures”, comme l’a affirmé Nicolas Sarkozy ? Avec une croissance inférieure d’un point à la moyenne européenne et de trois points à la moyenne mondiale, des finances publiques au bord de la faillite et un commerce extérieur qui s’effondre, comment parler de l’une des économies les plus performantes ? Avec un appareil éducatif très mal considéré par toutes les analyses nationales et internationales du primaire à l’université, comment croire que nous serions parmi les mieux formés du monde ?

Que l’on se fixe comme objectif de retrouver ce dynamisme, cette performance et cette excellence est tout à fait légitime, mais prétendre que nous avons atteint ce but est, à tout le moins, exagéré. Cédant à cette manie de croire que le monde se réveille la nuit pour nous appeler à l’aide, Bernard Kouchner, qui est pourtant un réaliste et un connaisseur de la vie internationale, se laisse aller à dire que “de l’Amérique latine au coeur de l’Afrique, en Europe comme en Asie, dans les situations les plus embrouillées et les plus dangereuses, on nous appelle”.

Face à ce délire d’une France admirée pour ses performances multiples et appelée sur tous les continents en arbitre suprême des tensions internationales, notre diplomatie devrait utiliser des moyens simples de tester concrètement cette admiration et cette reconnaissance. A tout pays admirateur de nos performances et souhaitant se soumettre à notre arbitrage suprême, nos diplomates devraient poser une question simple : “A propos, lorsque vous lancerez un prochain appel d’offres pour l’acquisition d’avions de chasse, considérerez-vous le Rafale à égalité avec les autres ou l’écarterez-vous systématiquement au profit d’avions américains, russes ou européens que vous considérez vous-mêmes pourtant comme moins performants ?”

Car, enfin, force est de constater qu’aucun des pays qui nous aiment et nous admirent, qui nous font confiance au point de nous désigner comme arbitre de leurs querelles les plus vitales n’a voulu passer une seule commande de cet avion emblématique de notre commerce extérieur et dont pourtant les performances techniques ont toujours été reconnues comme les meilleures par les experts des mêmes nations, de telle sorte que l’on est bien obligé d’admettre que cet avion ne se vend pas pour la bonne et simple raison qu’il est français.

Bien d’autres exemples pourraient être donnés du décalage calamiteux entre notre délire diplomatique et une réalité cruelle. Lors de son dernier déplacement en Inde, Jacques Chirac se promettait de vendre des centrales nucléaires Areva et des avions Rafale. Ce déplacement avait été précédé par une odieuse et stupide campagne à l’encontre de Lakshmi Mittal, qui souhaitait acquérir Arcelor et qui le fit dans le délai, les conditions et le prix qu’il avait décidés dès le départ en dépit des cris d’orfraie de Thierry Breton et d’une partie de la classe politique française, Jacques Chirac compris.

Il avait aussi été précédé par l’aventure maritime du Clemenceau, dans laquelle le ministère de la défense et celui des affaires étrangères avaient manifesté une stupide ignorance du traité de Bâle sur le transport des matières dangereuses et des règles applicables en Inde en conséquence de ce traité, tandis que l’ambassade de France à Delhi négligeait de répondre aux questions réitérées de la Cour suprême saisie de l’affaire. Enfin, notre diplomatie proposait à l’Inde un accord sur le nucléaire civil alors même qu’une simple lecture de la presse locale ou internationale aurait pu nous apprendre qu’un tel accord était finalisé avec les Etats-Unis pour être signé quelques jours plus tard avec le président Bush. On imagine dans ces conditions que le président est revenu bredouille non sans avoir subi, de surcroît, sur place l’humiliation de voir M. Mittal refuser son invitation à déjeuner, ce qui fut commenté cruellement dans la presse locale.

A force de rechercher une flamboyance qui n’éclaire plus que nos propres yeux, nous en oublions que le seul but d’une politique étrangère est de servir nos intérêts nationaux. Bernard Kouchner évoque avec réticence nos intérêts nationaux et s’il concède en fin de son discours aux ambassadeurs qu’il “est essentiel de définir et de mieux servir nos intérêts nationaux”, c’est pour nuancer aussitôt : “L’appréciation de nos intérêts ne s’applique pas seulement à ces ambitions objectives. Elle touche aussi à l’image que nous avons de nous-même, à la fidélité à nos valeurs, notre vocation.”

C’est donc la définition d’objectifs clairs et à notre mesure, la lucidité sur ce que nous sommes, qui n’exclut pas l’ambition de briller par nos performances quand nous en aurons de nouveau à présenter, qui font le plus défaut à notre diplomatie. Quant aux moyens dont nous disposons, ils révèlent la contradiction entre la volonté louable d’être partout et l’absence de moyens pour y parvenir, des choix parfois malheureux pour nos ambassadeurs et enfin un retard technique alarmant. Le budget des affaires étrangères diminuera. Il faut nous y adapter en redéployant l’outil. Il est aussi temps d’accroître la transparence des nominations des ambassadeurs, ce que propose le ministre : “un conseil de sélection chargé de proposer les candidats les plus aptes aux fonctions d’ambassadeurs”. Ainsi qu’aurait dit un comité de sélection face à notre ambassadeur au Honduras dont la plus grande qualité est d’avoir été battu deux fois aux élections législatives ?

Enfin, il est ahurissant de constater que le ministre doit encore se fixer comme objectif ambitieux la création d’“un outil informatique qui nous permettra de correspondre plus facilement en temps réel pour qu’au-delà des télégrammes diplomatiques, nous puissions bénéficier d’un vrai courrier des ambassades sécurisé bien sûr”. Aucun pays au monde, pas même les Etats-Unis, l’Inde, la Chine ou la Russie, ne prétend, comme nous, éclairer la planète. Jusqu’ici, cette prétention à une sorte de magistrature morale de l’humanité tenait encore lieu de poil à gratter dans la communauté internationale, elle a aujourd’hui l’effet limité d’un gaz hilarant.

Quand reconnaîtrons-nous que nos discours n’impressionnent plus le monde, pas plus que les petits fours rances et le champagne tiède de nos réceptions d’ambassades ne font rêver, qu’il nous faut faire renaître une diplomatie dont la première ambition serait le service efficace de nos intérêts nationaux ?

Publié dans DEBATS

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